mercredi 12 juin 2013

113 - La stigmatisée


Une fois par semaine elle se tordait de douleur au pied de la croix dans des cris hystériques tout en baisant passionnément son chapelet.

Ses convulsions pieuses pétrifiaient l’assistance étouffée de respect, de plus en plus nombreuse au fil des mois.

Des croix de sang apparaissaient sur son front, ses mains, ses pieds.

Les hosties posées par le prêtre tremblant sur ses blessures miraculeuses semblaient soulager sa sainte douleur.

Ces scènes se répétaient tous les vendredis dans l’église bondée de curieux et de fervents chrétiens. Des femmes surtout, la plupart en larmes.

L’élue christique mourut fort bêtement d’une banale chute de sa modeste hauteur (1 mètre 50) en marchant sur ses lacets défaits et eut droit à un enterrement de papesse.

Après ses funérailles on découvrit chez elle des produits chimiques cachés au fond d’un placard, pas n’importe lesquels : entre autres, de la soude caustique, bien connue des illusionnistes pour faire apparaître des marques à retardement sur la peau, du chlorure de fer, du cyanure de potassium, matières réactives incolores, indétectables, ayant relativement les mêmes effets : faire naître des traces rouges, créer spontanément des plaies sur le corps selon les formes voulues, prédéfinies en coulisse... Toutes ces substances agissant sur la peau de manière parfaitement naturelle et rationnelle à la manière d’une encre sympathique, mais avec des lettres sanglantes.

Celle que l’on pensait vierge et chaste dévoila encore posthumément une collection d’amants, en réalité des prostitués chèrement payés avec l’argent des dons obtenus en exhibant au prix fort ses cicatrices “surnaturelles”.

Les âmes bernées par les spectacles grotesques de la défunte “stigmatisée”, des femmes essentiellement, encore et toujours des femmes, crurent enfin beaucoup plus à la puissance des réactions chimiques alliée à la corruption de certains esprits femelles qu’aux prétendues manifestations extraordinaires à caractère religieux...

Et surtout, à la faiblesse de l’esprit féminin, c’est à dire le leur, décidément bien sot et infiniment crédule.

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